2020, l’année sans précédent » par Marco Spagnoli
- il y a 3 ans

Le critique et documentariste Marco Spagnoli nous présente la saison cinématographique italienne 2020. Vous retrouverez dans son écrit plusieurs films de la sélection de la 43e édition.
La saison cinématographique 2020 s’est caractérisée par sa courte, voire très courte durée. Pour la première fois de leur longue histoire et à l’instar de tant d’autres lieux de « dévotion », comme les églises ou les stades, les cinémas ont été contraints à la fermeture, du jamais vu même durant la Seconde Guerre mondiale. La déferlante qui, en temps normal, aurait suivi les succès berlinois de Volevo nascondermi de Giorgio Diritti avec Elio Germano, Favolacce de Fabio et Damiano D’Innocenzo et Semina il vento de Danilo Caputo, est venue se briser sur la fermeture des cinémas imposée par la nécessité d’endiguer le Covid-19.
Et dire que l’ensemble de l’industrie cinématographique italienne avait longuement attendu cette année 2020 (avec toute la superstition liée aux années bissextiles !), partie en fanfare dès les premiers jours de janvier avec le lancement de Tolo Tolo ! Le nouvel exploit au box-office de Checco Zalone a confirmé ce dernier dans son statut de nouveau roi Midas du cinéma italien. Le début de l’année a mis en relief un autre succès commercial, moins attendu celui-là : Hammamet, dans lequel Gianni Amelio nous livre sa vision des derniers jours de Bettino Craxi. Le public s’est passionné au-delà des attentes pour ce film, jusqu’à en discuter avec une ardeur qu’on ne lui connaissait plus depuis bien longtemps.
Les entrées ont fondu en quelques semaines, malgré Gli anni più belli, le nouveau film de Gabriele Muccino, ainsi que Odio l’estate, la dernière comédie d’Aldo, Giovanni et Giacomo, la plus inspirée du trio depuis un bon moment. Autre film au succès escompté et au titre alléchant, Figli, le dernier du regretté Mattia Torre, qui a eu la clairvoyance d’en confier la réalisation à son assistant, Giuseppe Bonito.

Favolacce des frères D’Innocenzo
Le cru 2020 semblait s’inscrire dans la suite du sillon tracé par le succès de Pinocchio de Matteo Garrone et de La Dea Fortuna, film dans lequel Ozpetek dirige le duo Accorsi-Leo avec Jasmine Trinca à leurs côtés, récompensée par de nombreux prix d’interprétation. La Dea Fortuna a récolté plus de sept millions d’Euros durant son exploitation en salle à cheval entre la fin de 2019 et le début de 2020 : un chiffre astronomique pour ce film plutôt dramatique, bien éloigné de la comédie. Tous ces résultats laissaient augurer d’une relance de l’industrie cinématographique italienne, grâce au rétablissement fragile du rapport avec le public. Toutefois, la deuxième partie de l’année a été marquée par les salles fermées au printemps et par une édition de Venise sans frissons, mais également sans aucun signe de pandémie. Au cours de cette période, des auteurs nouveaux se sont illustrés, notamment Claudio Noce avec Padrenostro, qui a permis à Favino de remporter une Coupe Volpi (prix d’interprétation, ndt) méritée. Signalons encore, parmi les œuvres de réalisateurs et réalisatrices plus affirmés, des films tels que Le sorelle Macaluso d’Emma Dante, Notturno, le nouveau documentaire de Gianfranco Rosi et Miss Marx de Susanna Nicchiarelli.
Autant de productions intéressantes, au même titre que Non odiare de Mauro Mancini et Spaccapietre de Gianluca et Massimiliano De Serio, qui confirment la vitalité et la diversité du cinéma italien actuel. Une pluralité d’idées, de production, d’inspiration, mais aussi de casting et d’histoires qui a un effet bénéfique sur l’intérêt du public. Tout cela est très important pour un cinéma italien trop souvent polarisé entre cinéma d’auteur et la comédie légère, voire brouillonne. Loin de ce conflit, la production cinématographique italienne actuelle sait trouver de nouveaux modes d’expression à travers l’exploration des genres.
C’est là un point important, qui, comme le démontre la sélection des films de Villerupt, souligne le changement de la production, mais aussi le nouveau pacte avec le public italien et, peut-être, également international. En attendant la sortie, à Noël, de Freaks out de Gabriele Mainetti et de Diabolik des Manetti Bros.

La dea fortuna de Ferzan Ozpetek
Tous ces ferments nouveaux apparaissent dans un contexte de distribution aussi compliqué qu’inédit. En effet, les résultats des films sortis sur plateforme, nébuleux et divulgués de façon partielle, confirment le principe selon lequel un film pensé, écrit et réalisé pour le cinéma doit principalement être distribué en salle. Cette notion s’applique encore d’avantage aux productions italiennes, qui ont besoin d’être vues, méditées et commentés de vive voix. Le buzz fonctionne pour les séries, alors que les films payants en VOD sont trop éloignés de la perception que l’on a de la consommation cinématographique moderne. Le public privilégie donc les salles ou des événements comme les festivals, susceptibles de lui offrir un programme ordonné et réfléchi qu’il pourra apprécier, critiquer et commenter. Un film nouveau diffusé en streaming pose un problème tout à fait différent et le cinéma produit en Italie en 2020 confirme la nécessité d’un point de rencontre et de dialogue entre les spectateurs et l’œuvre cinématographique. D’autant plus que le cinéma italien n’est pas encore au bout de sa quête d’identité, que ce soit, comme le soulignent les films sélectionnés par ce Festival, en termes d’histoires, de possibilités de narration et de profondeur de réflexion. Des voix et des regards plus ou moins nouveaux, mais certainement différents, viennent s’ajouter aux auteurs confirmés tels que Ferzan Ozpetek, Gabriele Salvatores, Gianni Amelio, Cristina Comencini, Francesca Archibugi. Ce sont ceux de cinéastes tels que Vincenzo Marra ou Gianni Di Gregorio, qui retrouve avec Lontano, lontano (Citoyens du monde) le lustre de Pranzo di Ferragosto (Le déjeuner du 15 août). Tout cela prouve que les productions italiennes sont en constante évolution et qu’elles sont à même de se projeter au-delà de ces années difficiles. Ce n’est pas une moindre ambition, surtout si on la place dans ce contexte historique de toute évidence hostile aux dissensions, plus sensible manifestement aux flagorneries des réseaux sociaux, où l’instantané essaye de se substituer à ce qui devrait au contraire durer.
Ce qui est certain, c’est que l’année 2020 a été unique en son genre pour le cinéma et que la suite reste à écrire.

Marco Spagnoli
Journaliste et critique cinématographique, Marco Spagnoli a été trois fois candidat au David di Donatello en tant qu’auteur de documentaires sur l’histoire du cinéma. Il a en outre remporté un Nastro d’Argento.