Story of DIARIO NAPOLETANO
Près de trente ans après Le mani sulla città, Francesco Rosi est revenu dans sa ville, qui aujourd'hui tressaille dans des convulsions politiques extrêmes, pour en donner un portrait contemporain. "J'aime Naples au point de la haïr parce qu'elle n'est pas comme je voudrais qu'elle soit", dit le réalisateur. "Réussirai-je à faire comprendre que si l'État abandonne à Naples, il abandonnera partout ailleurs ?"
Rosi a réussi, Diario Napoletano est différent de toutes les autres oeuvres de "dénonciation", réalisées pour le cinéma ou la télévision, parce que les images du présent alternent avec des extraits de films passés que le réalisateur avait tournés à Naples, films plus visionnaires que prophétiques, plus clarificateurs que porteurs d'oracle : dans Mani sulla città, le problème-clef est déjà celui d'aujourd'hui "qui fait la loi et dans quelles poches va finir l'argent de l'État ?" et nous sommes frappés par la séquence ou un groupe de conseillers municipaux agitent leurs mains blanches en criant : "Nous avons les mains propres, les mains propres" ; aux funérailles du haut magistrat assassiné dans Cadaveri eccelenti, nous sommes impressionnés d'entendre dans l'oraison officielle les mêmes paroles que celles prononcées après l'assassinat des juges Falcone et Borsellino ; dans Lucky Luciano on trouve la première légitimation de mafiosi ou de camorristi, collaborateurs de l'armée américaine pendant le débarquement en Italie à la fin de la seconde guerre mondiale, ainsi que la naissance du premier noyau de criminalité moderne organisée, conséquence de l'expulsion de gangsters italo-américains des Etats-Unis vers Naples ou Païenne.Diario Napoletano est surtout différent parce que Rosi n'est ni univoque ni schématique ; il dénonce avec une force passionnée la dégradation civile et sociale de la ville, mais il en rappelle aussi l'histoire traversée de périodes aussi sombres que celle d'aujourd'hui ; il en illustre la culture supérieure ; il en montre la beauté émouvante, le réalisateur se déplace dans Naples avec sa petite troupe. Il voit les visages de la dernière génération, des gamins - une boucle dorée au lobe de l'oreille gauche - arrêtés par la police ; il suit leur dialogue qui glace le sang :
- Pourquoi ne vas-tu pas à l'école ? - ça ne me plaît pas - Qu 'est-ce que tu fais ? - Rien. - Tu te piques ? - Oui - Tu deales ? - Oui.Il écoute les experts : il y avait à Naples, avant, une économie productive, industrielle ; maintenant l'économie de la ville est totalement parasitaire et les gens deviennent cyniques et violents ; un fleuve d'argent venant de l'état ou des pots-de-vin du secteur privé ou du crime, circule comme un sang infecté dans les veines de la cité. La densité de (sur) population est le double de celle de Hong Kong ; la camorra fait travailler 400 000 personnes. 30 000 héroïnomanes dépensent chacun 150 000 lires (environ 600 francs) par jour, 60 000 adolescents sont des délinquants.
Mais Rosi, avec sa petite troupe, contemple aussi le charme mystérieux du cratère de Vésuve et des fouilles de Pompéi, les villas autrefois très belles de Portici ou de Torre del Greco avec leurs jardins intérieurs et leurs descentes vers la mer, les extraordinaires églises dorées, les coupoles décorées de mosaïques, les palmiers et les lauriers-rosés, les monuments hérités d'une histoire aujourd'hui mortifiée, les magnifiques palais délabrés, l'immobilité de la mer, au cours d'une période inattendue de calme au crépuscule, qui ressuscite les souvenirs d'enfance, et enfin la beauté émouvante, secrète de cette grande ville aujourd'hui violée.
"Ai-je réussi à dire que Naples est pleine de vitalité, qu 'elle mérite de vivre ?", se demande le réalisateur : oui, il a réussi à le faire ; cependant les pires sourds continueront à ne pas entendre.
Lietta Tornabuoni, La stampa, 1 déc. 1992
DIARIO NAPOLETANO
Près de trente ans après Le mani sulla città, Francesco Rosi est revenu dans sa ville, qui aujourd'hui tressaille dans des convulsions politiques extrêmes, pour en donner un portrait contemporain. "J'aime Naples au point de la haïr parce qu'elle n'est pas comme je voudrais qu'elle soit", dit le réalisateur. "Réussirai-je à faire comprendre que si l'État abandonne à Naples, il abandonnera partout ailleurs ?"
Rosi a réussi, Diario Napoletano est différent de toutes les autres oeuvres de "dénonciation", réalisées pour le cinéma ou la télévision, parce que les images du présent alternent avec des extraits de films passés que le réalisateur avait tournés à Naples, films plus visionnaires que prophétiques, plus clarificateurs que porteurs d'oracle : dans Mani sulla città, le problème-clef est déjà celui d'aujourd'hui "qui fait la loi et dans quelles poches va finir l'argent de l'État ?" et nous sommes frappés par la séquence ou un groupe de conseillers municipaux agitent leurs mains blanches en criant : "Nous avons les mains propres, les mains propres" ; aux funérailles du haut magistrat assassiné dans Cadaveri eccelenti, nous sommes impressionnés d'entendre dans l'oraison officielle les mêmes paroles que celles prononcées après l'assassinat des juges Falcone et Borsellino ; dans Lucky Luciano on trouve la première légitimation de mafiosi ou de camorristi, collaborateurs de l'armée américaine pendant le débarquement en Italie à la fin de la seconde guerre mondiale, ainsi que la naissance du premier noyau de criminalité moderne organisée, conséquence de l'expulsion de gangsters italo-américains des Etats-Unis vers Naples ou Païenne.
Diario Napoletano est surtout différent parce que Rosi n'est ni univoque ni schématique ; il dénonce avec une force passionnée la dégradation civile et sociale de la ville, mais il en rappelle aussi l'histoire traversée de périodes aussi sombres que celle d'aujourd'hui ; il en illustre la culture supérieure ; il en montre la beauté émouvante, le réalisateur se déplace dans Naples avec sa petite troupe. Il voit les visages de la dernière génération, des gamins - une boucle dorée au lobe de l'oreille gauche - arrêtés par la police ; il suit leur dialogue qui glace le sang :
- Pourquoi ne vas-tu pas à l'école ? - ça ne me plaît pas
- Qu 'est-ce que tu fais ? - Rien.
- Tu te piques ? - Oui
- Tu deales ? - Oui.
Il écoute les experts : il y avait à Naples, avant, une économie productive, industrielle ; maintenant l'économie de la ville est totalement parasitaire et les gens deviennent cyniques et violents ; un fleuve d'argent venant de l'état ou des pots-de-vin du secteur privé ou du crime, circule comme un sang infecté dans les veines de la cité. La densité de (sur) population est le double de celle de Hong Kong ; la camorra fait travailler 400 000 personnes. 30 000 héroïnomanes dépensent chacun 150 000 lires (environ 600 francs) par jour, 60 000 adolescents sont des délinquants.
Mais Rosi, avec sa petite troupe, contemple aussi le charme mystérieux du cratère de Vésuve et des fouilles de Pompéi, les villas autrefois très belles de Portici ou de Torre del Greco avec leurs jardins intérieurs et leurs descentes vers la mer, les extraordinaires églises dorées, les coupoles décorées de mosaïques, les palmiers et les lauriers-rosés, les monuments hérités d'une histoire aujourd'hui mortifiée, les magnifiques palais délabrés, l'immobilité de la mer, au cours d'une période inattendue de calme au crépuscule, qui ressuscite les souvenirs d'enfance, et enfin la beauté émouvante, secrète de cette grande ville aujourd'hui violée.
"Ai-je réussi à dire que Naples est pleine de vitalité, qu 'elle mérite de vivre ?", se demande le réalisateur : oui, il a réussi à le faire ; cependant les pires sourds continueront à ne pas entendre.
Lietta Tornabuoni, La stampa, 1 déc. 1992
- RéalisationFrancesco Rosi
- ScénarioFrancesco Rosi, Raffack La Capria
- ImagePasqualino De Santis
- MontageRuggero Mastroianni
- MusiquePiero Piccioni
- Producteur (s)Ferrucio Santini, Mario Vecchi
- ProductionsMV Produzione, RAI Tre
- InterprètesPietro Bontempo, Simona Caramelli, Pasquale Mari, Nino Vingelli
- Année1992
- Durée1h 30
- Pays de productionItalie